Article initialement publié en quelques posts sur Linkedin
Vous avez déjà entendu parler du Morosil ? Entre les discours qui l’encensent sur TikTok et l’avis plus que sceptique de la revue “Que Choisir”, je vous propose d’y consacrer quelques lignes pour se faire une opinion plus nuancée. Quels bénéfices cet ingrédient a t-il réellement sur la perte de poids ?
Le Morosil, qu’est ce que c’est ?
C’est un extrait de jus d’orange sanguine (Citrus sinensis (L.) Osbeck var. Moro). La particularité de cet extrait ? Il provient d’une variété sicilienne d’orange particulièrement riche en composés polyphénoliques (notamment en anthocyanes).
Le fabricant recommande l’usage de 400 mg/j de Morosil et donne les teneurs en actifs suivantes :
– Anthocyanes 0.8-0.9 % (soit 3.2 – 3.6 mg par Dose Journalière Recommandée)
– Acides hydroxycinnamiques 0.8-1.0 % (soit 3.2-4.0 mg/DJR)
– Flavanones 2.0-2.2 % (soit 8.0 – 8.8 mg/DJR)
– Acide ascorbique 4.3-4.5 % (soit 17.2 – 18 mg/DJR).
Le fabricant mentionne également sur la fiche produit que le Morosil :
– Favorise la perte de poids
– Réduit l’IMC et améliore la composition corporelle
– Réduit la circonférence de la taille et des hanches.
Quelques mécanismes sont aussi évoqués : le Morosil pourrait moduler l’adipogénèse grâce à ses propriétés antioxydantes (pour résumer) et boosterait la perte de poids en combinaison avec un régime hypocalorique et de l’exercice physique…
Le Morosil et la perte de poids dans la littérature scientifique
Les données sur l’extrait
Concernant directement le Morosil, seulement quelques études ont été publiées, dont 2 essais cliniques.
📚 Le plus ancien [1] teste le produit vs. placebo sur 30 personnes pendant 3 mois mais ne détaille pas les conditions d’inclusion dans l’étude. Elle conclut à une possible efficacité de l’extrait dans la réduction du poids corporel, de l’IMC, du tour de taille et du tour de hanches.
📚 L’autre essai [2] teste le produit en double aveugle sur un panel un peu plus large (65 personnes vs. 71 placebos) pendant 6 mois, cette fois conjointement à un régime contrôlé (nombre de kcal/jour limité) et de l’exercice physique (30 minutes de marche 3 fois par semaine).
Après 6 mois, les deux groupes ont perdu du poids de façon significative par rapport au début de l’essai… Et il existe également une différence significative entre les 2 groupes : le groupe avec Morosil a en moyenne perdu plus de poids que le groupe placebo. Idem en ce qui concerne les tours de taille et de hanche. Les limites de l’étude ? 30 % d’abandon des participants, des données déclaratives (non-mesurées) concernant régime et activité physique, une période d’étude plutôt courte.
A nouveau, les chercheurs concluent que l’emploi du Morosil pourrait être une stratégie complémentaire dans les programmes de gestion de la perte de poids.
Bilan : ces résultats pourraient sembler convaincants, mais seulement 2 essais clinique sur un panel d’une centaine de personnes, ça reste trop peu pour tirer des conclusions… Si l’on raisonne en terme de niveau de preuve, il faudra multiplier les essais cliniques pour obtenir suffisamment de données permettant une méta-analyse.
Pour aller plus loin, faisons un tour du côté des études sur les substances qui portent l’activité du Morosil.
Les données sur les actifs du Morosil
Concernant la vitamine C, elle ne démontre pas d’intérêt spécifique (au-delà de son action vitaminique) sur la perte de poids.
Globalement, l’activité anti-obésogène des polyphénols est acceptée. Cette activité est la résultante de plusieurs mécanismes, variables selon les sous-classes polyphénoliques : modulation de la différenciation des adipocytes, régulation du métabolisme des lipides et du glucose à différents niveaux, prévention de l’oxydation lipidique, modulation de la flore intestinale, inhibition de la lipase pancréatique, promotion du brunissement du tissu adipeux blanc, activité anti-inflammatoire, modulation de l’expression de gènes impliqués dans l’adipogénèse et la néoglucogénèse…
La documentation à propos du Morosil met en avant différentes familles de composés polyphénoliques.
🍊 Acides hydroxycinnamiques
Sur des modèles animaux, les acides hydroxycinnamiques ont des effets anti-obésogènes [3]. D’après une étude de 2022, la dose “active” d’acide chlorogénique est de l’ordre de 13 à 200 mg/jour. On dispose d’encore peu de données sur l’humain.
🍊 Anthocyanes
Dans le cas des anthocyanes, leur activité anti-obésité et les mécanismes en jeu sont mieux documentés, mais toujours majoritairement chez l’animal, supplémenté avec des doses de l’ordre de quelques centaines de mg (150 – 400 mg en général) en parallèle d’un régime obésogène [4]. Il manque encore des données chez l’humain pour prouver l’efficacité, malgré les quelques essais cliniques recensés par Azzini et al. en 2017 [5].
🍊 Citroflavanones
Et les citroflavanones ? A propos de l’hespéridine, plusieurs méta-analyses en lien avec notre problématique sont disponibles. L’une ne montre pas d’association entre consommation d’hespéridine et réduction du poids [6]. Une autre ne montre pas d’association entre consommation d’hespéridine et contrôle de la glycémie [7]. Enfin, une dernière conclut à l’absence d’effets significatifs de l’hespéridine sur les données anthropomorphiques [8]. A propos de la naringine et de son métabolite, la naringénine, un potentiel anti-obésogène a été mis en avant in vitro et in vivo, mais les données cliniques sont trop peu nombreuses [9] [10].
En conclusion, malgré des perspectives intéressantes et une connaissance de plus en plus précise des mécanismes d’action des polyphénols sur l’obésité, les preuves cliniques de l’efficacité d’une supplémentation sont encore faibles.
Finalement, que penser du Morosil pour la perte de poids ?
On vient de le voir, les preuves scientifiques de l’efficacité individuelle des actifs (anthocyanes, acides hydroxycinnamiques, vitamine C, flavanones) sur la perte de poids sont encore faibles. De plus, il existe des disparités dans les efficacités observées selon la composition des extraits étudiés.
Cette variabilité entre les différents extraits s’expliquent par l’usage de diverses sources végétales et divers modes d’extraction. Il peut s’agir d’extraits aqueux ou alcooliques comme d’extraits purifiés, provenant de baies rouges ou autres végétaux plus ou moins riches en anthocyanes comme de co-produits de l’industrie agro-alimentaire (restes de fruits pressés pour leur jus par exemple)… Cela nuit d’autant plus à l’obtention de résultats fiables.
Enfin, les doses d’actifs revendiquées dans la dose journalière recommandée de Morosil (400 mg) sont 4 à 50 fois inférieures aux doses testées dans les études ! Impossible, donc, d’extrapoler.
Cela dit, un effet synergique n’est pas à exclure et pourrait expliquer les résultats cliniques plutôt favorables obtenus pour l’extrait. Le discours marketing est toutefois à moduler, car le Morosil agirait plutôt comme “booster” d’une perte de poids provoquée par la combinaison d’une activité sportive et d’un régime hypocalorique. Aucune donnée n’existe sur la prise de Morosil sans autre intervention.
Côté allégations, aucune n’est autorisée ni tolérée pour l’extrait, ce qui n’est pas surprenant car la justification scientifique est trop légère pour le moment. Il peut être associé à d’autres ingrédients en formulation, comme le thé vert ou le guarana, pour lesquels une allégation en lien avec la perte de poids est autorisée.
D’autres questions se posent au-delà de l’aspect efficacité :
– Est-ce que proposer des actifs à visée “perte de poids” sous forme de gummies ne risque pas de créer de confusion dans l’esprit du consommateur ?
– Lorsque l’on raisonne en termes de niveau de preuve, ne serait-il pas pertinent de mettre en avant d’autres leviers plus fiables pour agir sur la perte de poids ?
Plus généralement, cet ingrédient illustre des problématiques fréquemment rencontrées en phytothérapie :
– La prise en compte de la variabilité de la composition des extraits n’est pas encore systématique dans les méta-analyses ;
– Leur composition complexe fait qu’il est compliqué d’établir des données pharmacocinétiques, pharmacodynamiques, toxicologiques et d’établir des mécanismes d’action ;
– Les activités des différents constituants isolés ne reflètent pas forcément la réalité biologique de l’activité de l’extrait.
➡ En conclusion, le Morosil, un ingrédient popularisé sur les réseaux malgré le manque de preuves d’efficacité, me semble plutôt servir d’appât marketing dans une formulation. A la limite, on pourrait proposer cet ingrédient en complément d’une activité physique et d’un régime hypocalorique, en accompagnement d’une perte de poids.
Finalement, toujours pas d’ingrédient minceur magique en vue !
Références (Morosil et perte de poids) :
[1] Cardile V, Graziano ACE, Venditti A. Clinical evaluation of Moro (Citrus sinensis(L.) Osbeck) orange juice supplementation for the weight management. Natural Product Research [Internet]. 15 janv 2015 ; 29(23) : 2256‑60.
[2] Briskey D, Malfa GA, Rao A. Effectiveness of “Moro” Blood Orange Citrus sinensis Osbeck (Rutaceae) Standardized Extract on Weight Loss in Overweight but Otherwise Healthy Men and Women—A Randomized Double-Blind Placebo-Controlled Study. Nutrients [Internet]. 18 janv 2022 ; 14(3) : 427.
[3] Alam MA, Subhan N, Hossain H, Hossain M, Reza HM, Rahman MM, et al. Hydroxycinnamic acid derivatives : a potential class of natural compounds for the management of lipid metabolism and obesity. Nutrition & Metabolism [Internet]. 11 avr 2016 ; 13(1). Disponible sur : https://doi.org/10.1186/s12986-016-0080-3
[4] Escalante-Aburto A, Mendoza-Córdova MY, Mahady GB, Luna-Vital DA, Gutiérrez-Uribe JA, Chuck-Hernández C. Consumption of dietary anthocyanins and their association with a reduction in obesity biomarkers and the prevention of obesity. Trends In Food Science & Technology [Internet]. 1 oct 2023 ; 140 : 104140. Disponible sur : https://doi.org/10.1016/j.tifs.2023.104140
[5] Azzini E, Giacometti J, Russo GL. Antiobesity Effects of Anthocyanins in Preclinical and Clinical Studies. Oxidative Medicine And Cellular Longevity [Internet]. 1 janv 2017 ; 2017 : 1‑11. Disponible sur : https://doi.org/10.1155/2017/2740364
[6] Mohammadi M, Ramezani‐Jolfaie N, Lorzadeh E, Khoshbakht Y, Salehi‐Abargouei A. Hesperidin, a major flavonoid in orange juice, might not affect lipid profile and blood pressure : A systematic review and meta‐analysis of randomized controlled clinical trials. Phytotherapy Research [Internet]. 10 janv 2019 ; 33(3) : 534‑45. Disponible sur : https://doi.org/10.1002/ptr.6264
[7] Shams‐Rad S, Mohammadi M, Ramezani‐Jolfaie N, Zarei S, Mohsenpour M, Salehi‐Abargouei A. Hesperidin supplementation has no effect on blood glucose control : A systematic review and meta‐analysis of randomized controlled clinical trials. British Journal Of Clinical Pharmacology [Internet]. 12 déc 2019 ; 86(1) : 13‑22. Disponible sur : https://doi.org/10.1111/bcp.14120
[8] Djafari F, Shahavandi M, Amini MR, Sheikhhossein F, Shahinfar H, Payandeh N, et al. The effects of hesperidin supplementation or orange juice consumption on anthropometric measures in adults : A meta-analysis of randomized controlled clinical trials. Clinical Nutrition ESPEN [Internet]. 1 juin 2021 ; 43 : 148‑57. Disponible sur : https://doi.org/10.1016/j.clnesp.2021.03.036
[9] Alam MA, Subhan N, Rahman MM, Uddin SJ, Reza HM, Sarker SD. Effect of Citrus Flavonoids, Naringin and Naringenin, on Metabolic Syndrome and Their Mechanisms of Action. Advances In Nutrition [Internet]. 1 juill 2014 ; 5(4) : 404‑17. Disponible sur : https://doi.org/10.3945/an.113.005603
[10] López-Almada G, Domínguez-Avila JA, Mejía-León ME, Robles-Sánchez M, González-Aguilar GA, Salazar-López NJ. Could Naringenin Participate as a Regulator of Obesity and Satiety ? Molecules [Internet]. 2 févr 2023 ; 28(3) : 1450. Disponible sur : https://doi.org/10.3390/molecules28031450
Et pour la réalisation de dossiers de justification d’allégations, c’est par ici !