Certaines tribus indiennes l’utilisaient déjà comme plante médicinale pour ses propriétés antalgiques et dans la sphère gynécologique. Peu connue du grand public, l’actée à grappes a pourtant démontré son intérêt dans la gestion des troubles liés à la ménopause (bouffées de chaleur, sueurs, troubles du sommeil). Dans cet article, je vous propose de découvrir ou redécouvrir cette plante, à la fois pour ses activités biologiques, mais aussi d’un point de vue botanique, phytochimique, réglementaire et écologique.
Botanique et phytochimie de l’actée à grappes
L’actée à grappes, de son nom binomial Actaea racemosa L. (synonyme Cimicifuga racemosa (L.) Nutt.), est une plante de la famille des renonculacées originaire d’Amérique du Nord (USA, Canada). Elle se présente sous la forme d’un buisson feuillu pouvant atteindre 2 m de haut. Ses inflorescences sont blanches, dressées à la verticale. Le rhizome est la partie de la plante porteuse de l’activité biologique.
Côté substances actives, les rhizomes de l’actée à grappe contiennent des flavonoïdes, notamment de la classe des isoflavones. Ils renferment aussi des acides hydroxycinnamiques et leurs dérivés (acide fukinolique), des alcaloïdes (dérivés de la guanidine) et des hétérosides triterpéniques, dont l’actéine (Nikolic et al., 2015).
Les données scientifiques sur l’actée à grappes
La ménopause est la période d’arrêt des menstruations chez la femme. Période de bouleversement hormonal, elle est souvent accompagnée de symptômes affectant le bien-être et la qualité de vie : bouffées de chaleur, transpiration excessive, troubles du sommeil, irritabilité…
Les publications traitant de l’intérêt de l’actée à grappes dans les troubles de la ménopause sont nombreuses, mais de qualité variable. Plusieurs méta-analyses sont parues depuis 2010, recoupant les données disponibles. J’ai choisi de vous présenter les résultats de la plus récente d’entre elles (Castelo-Branco, 2021).
Une méta-analyse est une publication scientifique qui regroupe les résultats obtenus dans de précédentes études afin d’augmenter la taille des échantillons, et donc la puissance statistique des résultats. C’est un des plus hauts niveaux de preuve scientifique.
De la plante à l’extrait standardisé…
Cette méta-analyse évalue les données obtenues dans une méta-analyse antérieure et dans 35 études cliniques, dont 16 essais cliniques randomisés. En tout, elle porte sur une population de plus de 43 000 femmes. Plus de 13 000 d’entre elles ont reçu un extrait isopropanolique standardisé d’actée à grappes.
Le choix d’un extrait précis permet de standardiser les résultats, et d’obtenir des données comparables d’une étude à l’autre. Il n’est pas pertinent de comparer les données obtenues avec des extraits différents. Les compositions seront différentes, donc l’activité biologique le sera probablement aussi !
La méta-analyse conclut que l’efficacité de l’extrait isopropanolique d’actée à grappes à des doses de 40 à 120 mg/jour est supérieure au placebo, et équivalente à celle d’une faible dose d’estradiol transdermique sur les symptômes climactériques. L’extrait standardisé d’actée à grappes a aussi montré des résultats probants sur les symptômes psychologiques lorsqu’il est couplé à un extrait de millepertuis. Sur les études longues (3 à 6 mois), cet extrait d’actée à grappes a permis de réduire significativement bouffées de chaleurs, transpiration excessive et troubles de l’humeur.
Quel mode d’action ?
L’extrait d’actée à grappes évalué dans la méta-analyse n’a pas d’effet pro-oestrogénique (qui mime les effets des œstrogènes). Cette théorie avait été avancée car l’actée contiendrait de la formononétine, un flavonoïde réputé pour avoir ces propriétés. Or, cette molécule n’est pas retrouvée dans l’extrait isopropanolique. Les chercheurs montrent qu’il agit plutôt au niveau du système nerveux central sur des récepteurs clés de la thermorégulation, de l’humeur et du sommeil (notamment les récepteurs dopaminergiques et sérotoninergiques). L’extrait n’a pas non plus montré d’activité in vitro sur les récepteurs des œstrogènes.
Des propriétés anti-inflammatoires et antioxydantes ainsi qu’une activité d’autres extraits d’actée à grappes sur l’axe hypothalamo-hypophysaire a été démontrée, ce qui pourrait aussi expliquer la réputation de la plante dans le traitement des troubles de la ménopause.
Des bénéfices supplémentaires pour les femmes souffrant de cancer du sein, d’endométriose et d’ostéoporose sont envisageables. Les chercheurs poursuivent les études en ce sens.
L’EMA considère également l’usage d’extraits éthanoliques et isopropanoliques bien établi dans la gestion des troubles de la ménopause.
Les précautions d’utilisation de l’actée à grappes
La littérature mentionne une hépatotoxicité de l’actée à grappes. D’après les auteurs de la méta-analyse, cette toxicité au niveau du foie serait plutôt due à l’usage de produits de qualité moindre, adultérés par d’autres espèces du genre Cimicifuga. Ils n’ont observé aucune hépatotoxicité avec l’extrait isopropanolique d’actée à grappes utilisé.
Cependant, ces observations sont contradictoires avec d’autres données dans la littérature, qui documentent la toxicité pour le foie in vitro et chez l’animal de plusieurs types d’extrait. Par précaution, l’actée à grappes ne sera donc pas proposée chez les personnes à risque.
Les contre-indications en cas de pathologies hormonodépendantes sont toujours d’actualité. Bien que l’extrait standardisé sur lequel porte la méta-analyse n’aie pas d’effets pro-oestrogéniques, d’autres types d’extraits d’actée à grappes ont montré une capacité à lier les récepteurs aux oestrogènes.
Dans l’ensemble, la méta-analyse de Castelo-Branco (2021) n’a pas identifié de contre-indications ou d’effets indésirables significatifs pour son extrait. Cependant, de même que la prise en compte d’autres produits à base d’actée à grappes (notamment des compléments alimentaires) a faussé les conclusions d’une méta-analyse Cochrane en 2012, il ne faut pas généraliser la sécurité d’usage démontrée pour l’extrait isopropanolique à l’ensemble des produits pour ne pas tirer de conclusions erronées.
Quelques effets indésirables légers (troubles digestifs, allergies) ont par ailleurs été constatés. L’usage ne se justifie pas chez les enfants ou chez la femme enceinte ou allaitante.
La réglementation applicable à l’actée à grappes
L’actée à grappes est inscrite à la Pharmacopée Européenne ainsi qu’à la liste A de la Pharmacopée Française. Non-libérée du monopole pharmaceutique à ce jour, elle ne peut pas être vendue en l’état. Elle est inscrite à l’arrêté Plantes 2014, et donc autorisée dans les compléments alimentaires sous forme d’extrait aqueux ou hydroalcoolique de titre faible (< 30 %).
Concrètement, elle se trouve donc soit en complément alimentaire, soit en pharmacie. Or, il n’a pas été montré que l’actée à grappes présentait une efficacité dans l’accompagnement des troubles de la ménopause sous forme de compléments alimentaires. L’EMA reconnait toutefois que l’usage de l’actée à grappes est bien documenté et que son efficacité sous forme d’extrait isopropanolique ou éthanolique est probable.
La problématique de la ressource
En 2021, les produits naturels à base d’actée à grappes représentaient un marché de plus de 28 millions de dollars en Amérique du Nord. Récoltée excessivement pour servir ce marché, la pression est grande sur les populations sauvages d’actée à grappes (Erland et al., 2022). En effet, des chercheurs ont mis en évidence l’impact d’une récolte excessive sur une population d’actée à grappes. Après 2 à 3 années d’exploitation, ils ont observé une diminution de la densité des plants, différence qui s’est maintenue sur les années suivantes. Cette donnée suggère un potentiel déclin de la population en cas de surexploitation (Small & Chamberlain, 2018).
L’intérêt de l’actée à grappes dans la ménopause
La méta-analyse la plus récente disponible porte sur un extrait standardisé d’actée à grappes. Les résultats sont probants et le produit présente une efficacité significative sur les troubles de la ménopause. Toutefois, ces résultats ne sont pas extrapolables à l’ensemble des produits contenant des extraits d’actée à grappes… L’efficacité, mais aussi les modes d’actions semblent très variables en fonction de la nature des extraits.
D’après la méta-analyse la plus récente à ce jour, les données scientifiques viennent soutenir les usages traditionnels. Elles mettent également en avant les risques d’effets indésirables associés. Des études supplémentaires pourront venir confirmer l’intérêt de l’actée à grappes dans la gestion des troubles de la ménopause.
Bibliographie, références :
CASTELO-BRANCO, C., GAMBACCIANI, M., CANO, Antonio, et al. Review & meta-analysis: isopropanolic black cohosh extract iCR for menopausal symptoms–an update on the evidence. Climacteric, 2021, vol. 24, no 2, p. 109-119.
EMA/HMPC/48744/2017. Assessment report on Cimicifuga racemosa (L.) Nutt., rhizoma.
ERLAND, Lauren AE, TURI, Christina E., et MURCH, Susan J. Preliminary assessment of the conservation status of medicinal plant species in Canada. Botany, 2022, vol. 100, no 2, p. 247-260.
NIKOLIĆ, Dejan, LANKIN, David C., CISOWSKA, Tamara, et al. Nitrogen-containing constituents of black cohosh: Chemistry, structure elucidation, and biological activities. The Formation, Structure and Activity of Phytochemicals, 2015, p. 31-75.
SMALL, Christine J. et CHAMBERLAIN, James L. Experimental harvest and regrowth in Appalachian black cohosh (Actaea racemosa, Ranunculaceae) populations: Implications for sustainable management of a medicinal forest herb. The Journal of the Torrey Botanical Society, 2018, vol. 145, no 2, p. 109-120.