REACH, perturbateurs endocriniens et huiles essentielles

Quel est le rapport entre REACH, les perturbateurs endocriniens et les huiles essentielles ? En novembre 2022, le magazine Plantes et Santé a publié un article qui a été énormément relayé sur les réseaux. Cet article était initialement intitulé : « un test prouve que l’huile essentielle de lavande n’est pas un perturbateur endocrinien », puis a été renommé depuis en « huile essentielle de lavande : simple modulateur hormonal ? ». Remettons cette annonce dans son contexte et creusons un peu :

  • Qu’est-ce qu’un perturbateur endocrinien et quel est le rapport avec l’huile essentielle de lavande ?
  • Que vient faire REACH dans l’article de Plantes et Santé ?
  • Quels sont les enjeux autour de l’évolution de cette réglementation ?

La notion de perturbateur endocrinien

D’après la définition proposée par l’OMS et reprise par le Ministère de la Santé et des Solidarités, 3 points définissent ce qu’est un perturbateur endocrinien :

  • il s’agit d’une substance chimique
  • capable d’interférer avec le système endocrinien, de modifier le fonctionnement hormonal
  • et entraînant des effets délétères, nocifs.

La suspicion de l’activité de perturbateur endocrinien de l’huile essentielle de lavande remonte à une publication de 2007, mise en avant en 2017 en France par le magazine 60 Millions de Consommateurs. La revue publiée par Hawkins, Hires, Dunne et al. en 2020 est la plus récente a avoir fait le point sur les données ayant conduit à cette suspicion. 11 cas au total de gynécomastie prépubère qui seraient corrélés à un usage d’huiles essentielles de lavande ou de tea tree existent dans la littérature. Cependant, les auteurs concluent, au vu de l’absence de données démographiques et socio-économiques, de données sur la composition des produits incriminés, et considérant le reste de la littérature sur la question, que les preuves sont insuffisantes pour confirmer un lien entre huiles essentielles et activité de perturbateur endocrinien. En effet, corrélation n’est pas causalité !

Actuellement, le consensus scientifique considère plutôt les huiles essentielles comme modulateurs. Elles seraient effectivement capables d’interagir sur le système endocrinien, mais sans présenter les effets délétères caractérisant les substances classées comme perturbateurs. Il n’a donc pas fallu attendre 2022 et l’article de Plantes et Santé pour balayer cette idée reçue.

Un nouvel atout

Malgré tout, il est tout de même réjouissant d’apprendre que le test hPlacentox, capable de détecter la présence de perturbateurs endocriniens en quantités infimes, est en cours de validation auprès de l’OCDE.

Mais quel est le lien avec la réglementation REACH ? Il semble que les auteurs du magazine saisissent simplement une nouvelle opportunité de remettre en question l’approche de l’évaluation de la sécurité par l’ECHA (Agence Européenne des produits Chimiques).

REACH et CLP, qu’est-ce que c’est ?

Pour rappel, en substance, la réglementation REACH (CE N°1907/2006) impose à un fabricant de maîtriser les risques inhérents à la mise sur le marché d’une substance chimique pour la santé humaine et l’environnement. Il en découle la rédaction d’un dossier technique, d’un rapport de sécurité, des obligations d’étiquetage voire la rédaction d’une fiche de données de sécurité. Il s’agit ni plus ni moins d’une politique de gestion du risque.

Les produits visés par REACH sont définis par destination : lorsque l’huile essentielle est présentée comme complément alimentaire, cosmétique ou encore médicament, les règlements spécifiques à ces secteurs s’appliquent, pas REACH.

La réglementation CLP (CE N°1272/2008 : « Classification, Labelling and Packaging of Chemicals ») vise à informer le consommateur de façon claire des risques liés au produit via un étiquetage adapté et harmonisé. Concrètement, elle peut imposer la présence de pictogrammes et de phrases de sécurité sur les produits concernés.

Ces deux règlements vont évoluer dans les mois qui viennent pour intégrer des données supplémentaires afin de mieux protéger les consommateurs et l’environnement. Ces données comportent notamment des informations sur le statut de perturbateur endocrinien ou cancérogène des substances chimiques. Dans ce cadre, des consultations ont été organisées en 2022, ce qui a été l’occasion de remettre la filière française lavandicole sur le devant de la scène.

L’huile essentielle de lavande, dans tout ça ?

Classée substance N°289-995-2, l’huile essentielle de lavande présente, d’après REACH, un risque pour l’humain de par sa potentielle toxicité de contact (allergisant, irritant oculaire), ainsi qu’un risque pour l’environnement aquatique. La réglementation CLP impose donc que les emballages d’huiles essentielles (hors produits exclus du champ d’application) portent les pictogrammes adéquats.

Avec l’évolution prévue de la réglementation, la filière lavandicole craint que l’ECHA ne demande de caractériser le potentiel de perturbateur endocrinien de chaque molécule en présence dans l’huile essentielle. Pour l’instant, la position de la Commission Européenne est la suivante :

Dans la prochaine révision de ce règlement, il n’est pas prévu d’établir une classification d’une substance complexe sur la base de l’identification exhaustive des dangers de tous ses composants.

Commission Européenne

Cette position n’empêchera pas REACH d’imposer la révision des dossiers de sécurité et des fiches de données de sécurité. Il pourrait aussi impliquer de revoir l’étiquetage de certaines huiles essentielles. Ces procédures sont lourdes et complexes à mettre en place pour les producteurs, mais dans l’absolu, rien ne viendra interdire la mise sur le marché d’huile essentielle de lavande.

Les conséquences pour le marché

En revanche, l’appel à la nature est un argument fallacieux de la part de la filière. Tout ce qui est naturel n’est pas forcément sans danger pour la santé… Et les huiles essentielles, en partie définies par leur procédé d’obtention, sont-elles vraiment totalement naturelles ? Il existe à cette heure suffisamment d’arguments à mettre en avant pour ne pas tomber dans les erreurs de rhétorique, notamment les conséquences économiques directes et indirectes pour la filière Huiles Essentielles française. La synthèse du rapport publié par FranceAgrimer le 30/11/2022 les expose clairement.

Effectivement, la démarche d’évaluation des risques de l’Europe mériterait d’évoluer pour s’adapter aux produits d’origine naturelles tels que les huiles essentielles, pour lesquelles la prise en compte d’un effet d’ensemble est indispensable. Les nouvelles obligations de REACH pèseraient bien lourd, que ce soit en termes financiers ou de charge de preuve de l’innocuité, sur les producteurs français de la filière PPAM. Il est tout aussi légitime de penser que le potentiel ajout d’un pictogramme de risque supplémentaire sur des produits à l’image d’Epinal forte soit un très mauvais argument marketing pour les acteurs de la filière.

Toutefois, les autorités ont aussi un objectif d’ouverture du marché : plus il y a de produits, plus il y a de circulation des valeurs (capitalisme, tout ça). L’objectif est donc de contrôler au mieux l’ensemble des produits, pas de restreindre leur circulation. D’après mon expérience dans les affaires réglementaires auprès d’une autre instance européenne, afin de trouver un terrain d’entente, les autorités sont globalement ouvertes à la discussion et incluent l’ensemble des parties dans les révisions. Il est donc probable que la filière Huiles Essentielles française voie sa mobilisation récompensée et ses exigences prises en compte.

Les limites de la presse vulgarisée

En revanche, du côté du magazine qui a vulgarisé l’information, est-il pertinent, totalement honnête de profiter d’une avancée scientifique sans lien direct avec la question pour enfoncer le clou sur une problématique réglementaire auprès du grand public d’un point de vue très subjectif ? A fortiori lorsque les instances et les professionnels du secteur ont déjà établi la discussion… C’est une bonne illustration de la nécessité de faire preuve d’esprit critique : attention au sophisme de l’épouvantail que Plantes et Santé nous propose !

Bibliographie, références :

HAWKINS, Jessie, HIRES, Christy, DUNNE, Elizabeth, et al. The relationship between lavender and tea tree essential oils and pediatric endocrine disorders: a systematic review of the literature. Complementary Therapies in Medicine, 2020, vol. 49, p. 102288.

Commission Européenne. Législation sur les substances chimiques — révision du règlement REACH pour contribuer à la mise en place d’un environnement exempt de substances toxiques. Consulté sur ec.europa.eu [31/01/2023].

FranceAgrimer. État des lieux des connaissances disponibles sur l’évaluation des dangers recensés et étude de l’impact technico-économique de l’évolution des réglementations REACH et CLP sur la filière huiles essentielles françaises – Synthèse. Edition décembre 2022.

Isabelle Machet
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