Réglementation de l’herboristerie : quel avenir ?

Aujourd’hui, en France, la réglementation autour de l’herboristerie (la vente de plantes médicinales) est particulièrement nébuleuse. Il n’existe aucune réglementation spécifique aux plantes, chaque secteur d’activité les utilisant ayant son propre cadre réglementaire. Pourtant, les cultivateurs, conseillers et utilisateurs sont de plus en plus nombreux et le marché est en plein essor. Dans ce contexte, les professionnels des plantes médicinales, notamment les producteurs, sont en quête de légalité et de légitimité. Joël Labbé, sénateur du Morbihan, et Vincent Segrétain, porte-parole de la Fédération des Paysans Herboristes, ont tenu une conférence à ce sujet à la ferme de Quimerc’h (https://www.baume-shanti.fr/) à Bannalec (29) à l’occasion de la Fête des Simples.

Avant de revenir sur cette présentation, je vous propose de découvrir comment les choses se passent pour nos plantes au niveau réglementaire actuellement.

Etat des lieux de la réglementation en herboristerie

Le statut des produits de phytothérapie

La phytothérapie est un modèle de complexité réglementaire : il n’existe pas en 2022 en France de réglementation spécifique applicable à l’ensemble des plantes et extraits à base de plantes. Dans les faits, le marché de la phytothérapie se situe majoritairement à l’intersection de celui l’alimentation et de celui de la pharmaceutique, avec un débordement possible sur le marché des cosmétiques, des dispositifs médicaux (dans le cas des produits n’ayant pas d’activité pharmacologique), et même des arômes alimentaires et des parfums d’ambiance (pour les huiles essentielles).

De la même façon que la frontière entre la santé et la maladie, la frontière entre médicament et complément alimentaire à base de plantes est difficile à définir. Le médicament sera présenté comme tel, revendiquera un effet pharmacologique et aura une allégation thérapeutique, alors que le complément alimentaire n’aura qu’un effet physiologique pouvant faire éventuellement l’objet d’une allégation de santé.

Une allégation est un message visant à donner une propriété d’un aliment ou d’un de ses composants. Elle est dite « de santé » quand elle met en exergue un lien entre un nutriment ou un aliment et l’état de (bonne) santé. Lorsqu’il est fait mention d’une maladie dans une allégation, il s’agit alors d’une allégation thérapeutique qui n’est autorisée que pour les produits ayant un statut de médicament.

ANSES – Les allégations

Selon leur positionnement, la mise sur le marché de ces produits ne dépendra pas des mêmes instances : un médicament à base de plante fait l’objet d’une demande d’autorisation de mise sur le marché (AMM) délivrée par l’ANSM, alors que le complément alimentaire fait l’objet d’une déclaration auprès de la DGCCRF. Les mentions d’étiquetage et les conditions d’utilisation seront également différentes.

Cette segmentation est faite non pas en fonction de la nature du produit, mais de ses usages. Elle vise toutefois à un objectif commun : assurer la sécurité sanitaire des consommateurs. Cependant, ce paysage réglementaire éminemment complexe semble pour le moment surtout avoir pour effet de perturber l’accès du consommateur à une information exhaustive sur le bon usage des plantes et de leurs dérivés et à limiter la pratique de l’herboristerie.

Une réglementation pour l’herboristerie

Dans cet imbroglio, quelle est la place de nos producteurs locaux ? Le métier de paysan-herboriste englobe à la fois la connaissance botanique, agricole, thérapeutique de la plante… Dans les faits, notamment à cause des limites sur les allégations autorisées, il est très compliqué pour le paysan de proposer un conseil ou d’expliquer clairement les effets des produits de sa terre (mais pas impossible, c’est le genre de question que j’étudie !). Il est également limité dans le choix des plantes qu’il propose.

La réhabilitation d’un diplôme d’herboristerie, qui n’existe plus en France depuis 1941, est toujours en cours de débat au Sénat. Elle pourrait venir remodeler le paysage réglementaire en faveur de la filière de la phytothérapie.

La conférence de la Fête des Simples

Conférence donnée le 24/09/2022 à Bannalec, en voici les grandes lignes.

Intervention de J. Labbé

Sénateur ayant donné son nom à la loi interdisant l’usage de pesticides dans les espaces verts, Joël Labbé a été contacté il y a quelques années par Thierry Thévenin, président de la fédération des paysans-herboristes, pour porter un projet d’évolution de la réglementation autour du métier. Cela a conduit à la mise en place d’une mission d’information, un service du Sénat visant à creuser un axe de recherche. Elle a conduit à un rapport et des recommandations à propos du développement de la filière herboristerie, publiés en 2018.

On trouve parmi ces recommandations :

  • Reconnaissance des plantes médicinales au patrimoine mondial immatériel de l’Unesco
  • Création de jardins botaniques dans les écoles, développement de formations agricoles spécifiques
  • Renforcer la visibilité et les atouts de la filière, notamment par la production en bio (50 % d’ici 2025) et la création d’un label « plantes de France »
  • Réexamen de la liste des 148 plantes libérées du monopole pharmaceutique
  • Etude de la possibilité d’intégrer des allégations sur les « petits maux du quotidien »
  • Renforcement de la formation des vétérinaires et des éleveurs, confrontés aux mêmes limites réglementaires qu’en santé humaine

Les évolutions en 2022

L’ANSM (l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament) réexamine actuellement, comme recommandé en 2018, la liste des 148 plantes libérées du monopole pharmaceutique pour l’élargir.

Le monopole pharmaceutique est défini par le Code de la Santé Publique et implique entre autres le fait que la vente de plantes médicinales soit réservée aux pharmaciens. En 2008 a été publiée une liste de 148 plantes, dites « libérées du monopole », pouvant donc être vendues librement par les non-pharmaciens.

Article L4211-1 du CSP et Décret N°2008-241

Encore à l’étude à ce jour, 2 dossiers de référentiels métiers ont été déposés au RNCP grâce au travail conjoint de plusieurs écoles d’herboristerie françaises. La profession pourrait donc être rapidement reconnue et inscrite au RNCP, allant de la connaissance agricole à la capacité à conseiller les plantes produites.

Intervention de V. Segrétain

Vincent Segrétain est vice-président de la Fédération des Paysans-Herboristes. La FPH regroupe non seulement les paysans mais également des conseillers, des médecins, des scientifiques, des universitaires… Des profils très différents mais visant tous à l’amélioration de la reconnaissance et à l’évolution de la réglementation de l’herboristerie.

La Fédération a contribué à mettre en route une vraie dynamique dans cette reconnaissance. Elle a adapté sa démarche à la logique parlementaire : le but de la réglementation est d’assurer la sécurité du consommateur. Sur des produits ne relevant pas du statut de produit de santé, le législateur visera le risque zéro, par opposition à la notion de balance bénéfice-risque applicable à un médicament.

Les actions de la FPH

En plus de créer du lien entre les acteurs de la filière plantes médicinales, les axes de travail de la Fédération rejoignent les recommandations de la Mission d’information du Sénat :

  • L’élargissement de la liste des plantes libérées : la FPH mène un travail de recherche des plantes pouvant être intégrées à cette liste sur la base des usages traditionnels et alimentaires. 4 listes ont été proposées et sont à l’étude en Ministère :
    • Les plantes libérables oubliées en 2008,
    • Les plantes à libérer car assez de données scientifiques,
    • Les plantes à risque, à ne pas libérer,
    • Les plantes pour lesquelles il n’y a pas assez de données.
  • L’étude de la question de la ressource et de l’écologie.
  • L’évolution de la réglementation sur les allégations.

En effet, de nombreuses allégations déposées par les acteurs de la filière sont classées sur un liste en attente d’évaluation depuis 2008 : elles sont donc utilisables pour le moment… Tant qu’elles ne sont pas interdites. C’est donc problématique sur le long terme de travailler avec ces allégations car elles pourraient à l’avenir être suspendues si considérées comme thérapeutiques : la plante deviendrait un médicament par présentation, donc légalement invendable par un herboriste.

La limite est, dans les faits, très fine, et porte sur le langage employé. Les termes relevant du médical sont strictement interdits dans les allégations de santé. Il est donc par exemple possible de parler de « troubles du sommeil » mais pas d’insomnie.

FranceAgriMer a financé une étude sur les allégations utilisables dont la publication est prévue en 2023. Il y a encore énormément de travail sur cet axe. Cela amènerait des perspectives positives de l’évolution de la réglementation en herboristerie.

A propos des formations

En 2020, les grandes écoles françaises d’herboristerie ont écrit conjointement un référentiel métier « paysan-herboriste ». En 2021 puis 2022, le travail a consisté à identifier, à partir des compétences nécessaires au métier inscrites au référentiel, un moyen de les évaluer et de les transmettre.

Le métier de paysan-herboriste est de nouveau émergent en 2022 : comme annoncé par M. Labbé, le référentiel constituant une demande de reconnaissance par les pairs a été déposé en août. Les écoles ont déposé une demande de RNCP à la fois sur le conseil, les usages et la vente. Il serait possible de créer des référentiels métiers plus spécifiques. Cela pourrait à la fois conduire à des métiers plus spécialisés, mais aussi créer des clivages dans la filière plantes.

De nouvelles formations, qui seraient aussi accessibles aux pharmaciens pour renforcer leurs connaissances, ont émergé en parallèle des écoles d’herboristerie. On peut par exemple citer la licence professionnelle « Conseiller Spécialisé en Herboristerie » à Paris. En Bretagne, il existe la licence professionnelle proposant un parcours « Alimentation et conseil en nutrition santé » à Guingamp. L’Université de Rennes I propose une licence professionnelle « Nutraceutique, compléments alimentaires et produits de santé à base de plantes ».

Pour conclure

Les choses avancent, les perspectives sont grandes et les conférenciers soulignent l’importance de travailler conjointement entre acteurs de la filière.

Le milieu politique semble plutôt favorable à la reconnaissance des compétences et à l’évolution de la réglementation en herboristerie. Toutefois, la ligne de conduite des autorités est le risque zéro sur des produits destinés à l’alimentation. Faudrait-il donc passer par l’élaboration d’une réglementation propre aux produits de santé naturels comme il existe au Canada ?

La poursuite des efforts et des discussions est primordiale. Les choses n’ont pas fini de bouger dans le domaine des plantes médicinales en France !

Isabelle Machet
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